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Retour sur l'affaire Pinochet |
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Le 25 novembre dernier, en refusant de reconnaître à Augusto Pinochet l'immunité d'ancien chef d'Etat, la Chambre des Lords de Londres a pris une décision qui a étonné le monde entier. Retour sur une affaire judiciaire en forme de feuilleton.
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Premier épisode : une opération qui tourne mal
Le 22 septembre dernier, l'ancien dictateur chilien, qui souffre d'une hernie lombaire, vient se faire opérer à Londres. Le 16 octobre, le juge espagnol Baltasar Garzon lance un mandat d'arrêt contre Augusto Pinochet, et demande à l'Angleterre son extradition vers l'Espagne. Le 18 octobre, il motive sa décision en exposant des cas précis de disparition et de torture, dénonçant au passage l'opération Condor, organisation internationale occulte dont l'Argentine et le Chili faisaient partie. L'objectif de cette organisation était de coordonner la répression au niveau de ses pays membres. Selon lui, les actes commis par Pinochet sont des crimes contre l'humanité. Ils sont donc imprescriptibles et leurs responsables ne peuvent pas jouir de l'immunité diplomatique. Pinochet est placé en état d'arrestation dans sa chambre d'hôpital.
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Augusto Pinochet

Idi Amin Dada

Suharto

Laurent Désiré Kabila
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Deuxième épisode : treize jours de réflexion
Saisie par les avocats du Général, la Haute Cour de Justice de Londres, se fondant sur le droit anglais, déclare le 28 octobre illégale l'arrestation de Pinochet , estimant qu'il bénéficie de l'immunité souveraine en tant qu'ancien Chef d'État ayant agi dans l'exercice de ses fonctions. Le ministère public fait aussitôt appel de cette décision auprès de la Chambre des Lords, la plus haute instance judiciaire du pays. Les cinq Lords décident de se donner treize jours de réflexion avant de rendre leur jugement. Personne ne veut croire à une décision différente de celle rendue par la haute Cour de Justice, et la plupart des journaux titrent : "Pinochet échappe à la justice".
Troisième épisode : rebondissement
Le 25 novembre, contre toute attente et par trois voix contre deux, les Lords refusent l'immunité à Pinochet. En théorie, il va donc pouvoir être extradé vers l'Espagne pour y être jugé. Dans la réalité, le feuilleton n'est pas terminé. Il reste au Ministre Britannique del'Intérieur, Jack Straw, à se prononcer sur le renvoi de Pinochet au Chili pour raisons de santé. Cet homme, réputé pour son intégrité, s'est donné jusqu'au 11 décembre pour rendre sa décision. A cette date, même si l'extradition est acceptée, l'ancien dictateur chilien risque d'attendre encore de longues années avant d'être jugé, car ses avocats disposent de nombreuses armes pour retarder le procès.
Quatrième épisode : les limites de l'immunité
En 1961, la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques accorde l'immunité aux diplomates en déplacement à l'étranger. Cela signifie qu'ils ne peuvent être poursuivis que la justice de leur pays d'origine. Par extension, l'immunité est accordée aux Chefs d'État. Or à Londres, les Lords ont estimé, à l'inverse de la Haute Cour de Justice, que le général Pinochet ne pouvait bénéficier de l'immunité car les actes de génocide, de torture et de kidnapping ne font pas partie des prérogatives d'un chef d'État.
D'autre part, les juges n'ont pas cédé aux sollicitations de l'actuel gouvernement chilien, qui souhaite que Pinochet soit jugé dans son pays. En effet, le Chili ne reconnaît pas à l'Angleterre de compétences pour juger l'ancien dictateur. Or, les Lords ont estimé qu'en matière d'atteinte grave aux droits de l'homme, le droit international supplantait le droit national. Ce principe de compétence universelle a été évoqué pour la première fois en 1948, lors de la convention de l'ONU contre le génocide. Il a été rappelé en 1984, dans la convention de New York contre la torture. Dans les faits, ce principe n'a été appliqué qu'une seule fois, lors du procès Eichmann en 1961 : la justice israélienne a été saisie pour se prononcer sur des crimes commis hors de son territoire sur des personnes qui n'étaient pas israéliennes.
Cinquième épisode : une menace pour tous les dictateurs.
Jusqu'à présent, les grands procès pour crimes contre l'humanité, y compris lorsqu'ils mettaient en cause de hauts dirigeants, se sont déroulés devant des tribunaux internationaux. On se souvient de Nuremberg et de Tokyo après la seconde guerre mondiale. Plus récemment, l'ONU a créé deux tribunaux internationaux pour juger les crimes commis en Ex-Yougoslavie et au Rwanda. Or aujourd'hui, un dictateur risque d'être jugé pour la première fois par une juridiction nationale (ici l'Espagne) pour des crimes qui n'ont pas été commis en temps de guerre. Concrètement, la décision des Lords anglais constitue une menace pour tous les dictateurs à la retraite comme l'Haïtien Jean-Claude Duvallier (Baby Doc), réfugié en France, ou l'Ougandais Idi Amin Dada, ou encore José Guillermo Garcia au Salvador, ou l'Indonésien Suharto. Quant à ceux qui sont encore au pouvoir, comme Laurent-Désiré Kabila, président de la République Démocratique du Congo, pour l'instant la coutume est de ne pas les inquiéter, alors que le droit l'autorise !
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Épilogue : la mondialisation du droit
La décision des Lords britanniques est en avance sur la future Cour Pénale Internationale, dont la création a été décidée cet été lors de la convention de Rome. Sur les 160 pays présents, 120 ont approuvé les travaux de la conférence, et 60 ont signé le texte. Cette cour permanente, qui siégera à La Haye, sera appelée à juger les crimes majeurs. Cependant, elle n'entrera en vigueur que lorsque 60 pays au moins auront ratifié ses statuts, ce qui peut prendre cinq à sept ans. De plus, ses compétences seront limitées. Ainsi elle n'aura pas d'effet rétroactif, et ne pourra intervenir que dans les Etats qui auront ratifié ses statuts. Pour la Fédération Internationale des Droits de l'Homme, la Cour Criminelle Internationale a au moins le mérite d'exister enfin, puisqu'il était question de sa création depuis 50 ans ! Ses statuts seront révisés sept ans après sa création, et la FIDH espère à ce moment là pouvoir combler les lacunes de la future institution. Même s'ils peuvent commencer à se faire du souci, les dictateurs ont encore de beaux jours devant eux !
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