France 3Sommaire N°7 - 06 juin 1998  

 
INDONESIE : LA CHUTE
 
Pendant tout le mois de mai, l'Indonésie a été le théâtre d'émeutes sanglantes dans les principales villes. Menées par les étudiants, elles ont fait des centaines de victimes et entraîné la chute du président indonésien, le Général Suharto.
 


l'Indonésie est la première nation musulmane au monde
 
au début du mois de mai, la population a craqué

Java, Sumatra, Bali, des noms qui font rêver
Située en plein cœur de l'océan indien, en Asie, l'Indonésie est un archipel constitué de plus de 17000 îles. Peuplée de 200 millions d'habitants, dont 90% sont musulmans, elle est la première nation musulmane du monde. C'est aussi le paradis des ethnologues, puisque on y trouve des populations aux civilisations aussi différentes que les papous en Irian Jaya, les Batak à Sumatra, ou encore les Dayak à Kalimantan. L'île de Java regroupe 70% de la population de toute l'Indonésie et abrite la capitale, Djakarta. Jusqu'à l'année dernière, tout allait plutôt bien, car le pays est riche : il possède d'importantes ressources naturelles, et une agriculture essentiellement tournée vers les plantes commerciales.
 
Une économie en pleine déconfiture
Tant que l'économie fonctionnait, les entreprises investissaient, c'est à dire qu'elles empruntaient de l'argent pour s'agrandir, acheter de nouvelles machines... toutes les transactions financières s'effectuaient en dollars. En été 1997, une très grave crise économique secoue toute l'Asie. L'Indonésie n'y échappe pas, et en quelques mois, la roupie s'effondre : les entreprises, ne pouvant plus rembourser leurs emprunts, licencient leur personnel et ferment leurs portes. Le mécanisme est tragiquement mathématique. Avant la crise, 1 dollar valait environ 2500 roupies.
Imaginons une entreprise qui aurait emprunté à ce moment-là une somme de 100 000 dollars. En 1997, elle aurait dû, pour rembourser son prêt, débourser 250 millions de roupies. Aujourd'hui, un dollar vaut environ 16000 roupies. Pour rembourser son emprunt de 1997, l'entreprise devrait donc changer... 1 milliard 600 millions de roupies, soit environ 6 fois plus que prévu ! Conséquence directe de l'opération, en quelques mois le nombre de chômeurs est passé de 4,5 millions à plus de 13 millions.
 
Une population à bout
L'Indonésie a demandé de l'aide à la communauté internationale. Un prêt a été accordé au pays, à condition que l'Etat réduise ses dépenses et augmente ses recettes. Pour le gouvernement, c'est très simple : il suffit d'augmenter les impôts et les taxes. Le Prix du riz a doublé, l'essence a augmenté de 70%... même les Indonésiens qui avaient eu la chance de conserver leur emploi ont été frappés de plein fouet par la crise. Le mécontentement couvait depuis de nombreux mois, mais la révolte a éclaté début mai, menée par les étudiants. Le 12 mai, l'armée réprime une manifestation en tirant sur les jeunes désarmés, faisant 4 morts. Fin mai, le général Suharto est contraint de quitter le pouvoir. Il nomme le général Habibie pour lui succéder.


la police tire à balles réelles sur les manifestants
 
le général Suharto

Portrait d'un dictateur
Colonisée par les hollandais depuis le 17ème siècle, l'Indonésie a suscité pendant longtemps de nombreuses convoitises, à cause en particulier de sa richesse en pétrole. En 1949, le général Sukarno, leader des troupes indépendantistes, obtient enfin l'indépendance du pays. Elu président à vie en 1950, il mène l'Indonésie vers une crise politique grave qui éclate en 1965. Dans la nuit du 30 septembre, 6 généraux tentent un coup d'Etat, approuvés par le PKI, le parti communiste indonésien. Le général Suharto reprend le contrôle de la situation, et écrase la révolte dans le sang. En 1966, le pays est au bord de la guerre civile, et Sukarno est contraint de partager le pouvoir avec Suharto. Appuyé par les Etats Unis, celui-ci va baser toute sa politique sur la peur du communisme. Nous sommes en pleine guerre froide, la chine n'est pas très loin... Suharto, après avoir écarté Sukarno définitivement, met en place une véritable dictature : la presse est muselée, les syndicats libres interdits, l'opposition bâillonnée...
Seuls trois partis politiques, totalement contrôlés par le pouvoir, continuent d'exister. Pendant 30 ans, Suharto est réélu tous les 5 ans par l'assemblée, et la population se tait, par peur de la répression, mais aussi grâce aux bons résultats économiques du pays. Les milliers d'emplois créés chaque année valent même au dictateur le surnom de "père du développement", et tout le monde ferme les yeux sur son enrichissement personnel.
 
Après Suharto, la démocratie ?
Aujourd'hui, le général Suharto a cédé la place à l'un de ses proches, Yusuf Habibie, qui a promis d'organiser des élections libres l'année prochaine. L'opposition a trouvé un chef en la personne d'Amien Raïs, mais celui-ci est partisan d'un Islam fort, ce qui n'est pas en général synonyme de démocratie... et l'armée, avec à sa tête le général Wiranto, est troujours très présente... on ne sort pas si facilement que ça de 30 années de dictature !